Site d’informations culturelles de La Réunion

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Après une réflexion sur les élites, maillons incontournables de nos sociétés (JPH 143), une deuxième réflexion sur les associations, révélatrices de nos sociétés, (JPH 144/145), une troisième réflexion sur le monde économique, moteur de nos sociétés, nous poursuivons la série, aujourd’hui, avec une quatrième réflexion sur les culturels, consciences de nos sociétés. Pour être complète, notre société réunionnaise a besoin de toutes ces composantes et des autres – spirituels et politiques – que nous présenterons dans les prochains JPH. Ni les élites, ni les associatifs, ni le monde économique, ni les culturels, ni les spirituels, ni les politiques, ne peuvent dire qu’ils sont à eux seuls, nécessaires et suffisants pour la bonne marche de notre société et le meilleur bonheur de ses habitants ; mais tous ensemble, ils sont assurément, tous nécessaires.
Le monde culturel est la conscience de notre société, non pas au sens moral du terme, mais comme ressenti et comme expression de la manière réunionnaise. Écrivains, musiciens, chanteurs, sculpteurs, peintres sont les miroirs de nos élites, de nos associatifs, de nos économiques, de nos spirituels, de nos politiques, les miroirs de notre manière réunionnaise individuelle et collective de penser, de se comporter et d’agir. La manière réunionnaise et tout ce qui l’entoure, c’est cela la culture réunionnaise. Il y a normalement un lien direct entre la culture et la vie d’un peuple.
Mais il y aurait une tendance, ici et là, chez les responsables et chez nous-mêmes, à reléguer nos acteurs culturels à la fonction d’amuseurs publics et de dispensateurs de plaisirs pour l’esprit.
Les autres acteurs – les élites, les associatifs, les politiques, etc – auraient ainsi comme support de leur action, ce qu’ils appellent la culture française, et considèreraient qu’il n’y a plus deculture réunionnaise. Ils lui reconnaitraient tout au plus, un caractère folklorique, c’est-à-dire comme l’expression d’une manière d’être, d’exister, et d’agir qui a marqué notre pays autrefois et lui a donné une identité particulière, mais qui, aujourd’hui, n’est plus en mesure de remplir cette fonction. Pour ces gens-là, les acteurs culturels locaux peuvent présenter, développer, diffuser cette culture réunionnaise,comme expression d’un patrimoine du passé que l’on peut soutenir et entretenir comme tel, mais qui n’a plus de lien avec la vie moderne du pays.
Qui a eu cette idée d’opposer la culture française et la culture réunionnaise ? La culture réunionnaise, c’est la culture française à La Réunion. La langue créole à La Réunion, est une langue française et le Français, une langue réunionnaise. La culture réunionnaise est française à la manière réunionnaise, c’est-à-dire, essentiellement, métisse d’Afrique, d’Asie et d’Europe. C’est ici que la politique intervient. Dans la mentalité française jacobine dite « métropolitaine », la culture française c’est la culture de la France (Je dirais d’ailleurs, les cultures de la France). Selon cette mentalité, toutes les cultures qui ne sont pas la culture « métropolitaine » – les cultures primitives africaines et pacifiques, les cultures arabes du temps de l’Algérie française et les cultures nouvelles comme la culture réunionnaise – ne peuvent pas être des cultures françaises. C’est pour cela que François Mitterrand, en pensant à l’indépendance du pays à l’époque, déclarait que « l’Algérie c’est la France », et que le Général de Gaulle, en pensant à l’assimilation de l’Algérie, voyait Colombey- Les-Deux-Eglises devenir « Colombey-Les-Deux-Mosquées ». Ni l’un ni l’autre n’imaginaient que la culture métropolitaine et la culture maghrébine pouvaient être, toutes les deux, françaises, l’une en France et l’autre en Algérie.
Si l’on transpose le problème à La Réunion, il faut imaginer que la culture dite « métropolitaine », en France et la culture réunionnaise, ici, sont l’une et l’autre françaises. Or, l’esprit jacobin des dirigeants politiques actuels – nationaux et locaux – n’admet pas l’existence de deux cultures dans une même nation. Cela signifie que la culture qui reste, doit être la seule à informer le pays, c’est-à-dire, nécessairement, le diriger, voire le dominer. C’est l’essence de l’esprit colonialiste, même si les structures administratives coloniales, à La Réunion, ont disparu. Ce n’est pas le lieu d’illustrer cela par des exemples, dans « ce journal ». Mais les exemples ne manquent pas et nous n’avons pas manqué de vous les présenter. Cette diversité des cultures qui brise l’idéologie jacobine, ne met pas en cause notre appartenance à la Nation et à la République. Nous restons Français à la manière réunionnaise. Comment en sommes-nous arrivés là ? Un peu d’Histoire culturelle de la politique à La Réunion…
Ce ne sont pas des décisions politiques qui nous ont fait Français. A chaque étape de notre Histoire, ces décisions ont été prises à Paris, selon la vision des dirigeants parisiens des intérêts et des opportunités de la France. Parfois, ces décisions ont été à l’origine de nos malheurs, parfois elles ont répondu à des espérances que nous avions. Dans les deux cas, elles ont été parisiennes. Dans les deux cas, elles n’ont pas été des réponses à notre attente, mais seulement coïncidences. Les Réunionnais ont demandé la départementalisation dès 1848. Il a fallu attendre 1945 ! L’abolition de l’esclavage a eu des conséquences sur le changement de la vie des Réunionnais, mais n’a pas changé l’esprit jacobin de la France, pas plus que la décentralisation. Et la tentation est grande, pour certains, après les mésaventures de la décolonisation, de remplacer les autochtones par des métropolitains dans les « outre-mer ». Céder à cette tentation, serait l’application politique d’un postulat culturel [1].
Ce qui a fait ce que nous sommes, c’est la vie que les hommes d’ici et les hommes de Paris ont tissée sur le terrain depuis plus de trois siècles, en marge des décisions politiques. Depuis la Compagnie des Indes, l’esclavage, l’abolition, l’engagisme, la départementalisation, la décentralisation, jusqu’à ce qui se passe aujourd’hui, ce ne sont pas les décisions politiques, mais ce que nous avons vécu concrètement dans le maillage des relations humaines quotidiennes de terrain, qui a fait de nous des Français, des Français à la manière réunionnaise. Les décisions politiques de Paris ont été en marge des bons et des mauvais côtés de la vie d’ici et n’ont jamais été appliquées. La décentralisation, la décision la plus récente, en est un exemple. Notre qualité de Français ne découle pas de ces décisions jacobines, hors sol, mais de notre Histoire culturelle. Toute décision politique qui ne tient pas compte de cela, maintient l’ordre « métropolitain » et crée un désordre réunionnais.
Malgré tous les procès d’intention que l’on pourrait leur faire, les milieux économiques et administratifs de l’île font de plus en plus usage du créole dans leurs magasins, leurs collectivités, leurs relations humaines, leur publicité. On peut ajouter les médias à ces économiques, compte tenu de la place qu’ils accordent à la manière réunionnaise et, j’ajouterai, à la manière indianocéanienne. Ces exemples sont importants. Où est le temps où cet usage était interdit, à tout le moins jugé sans intérêt ? Tout ce monde qui dépense parce que ça rapporte, et qui réalise à cause de l’audimat, a passé outre les interdits politiques, pour se plier aux réalités de la vie. C’est une étape.
Les calculs politiques et les partis pris idéologiques se sont heurtés à la solidité de la culture réunionnaise qui, malgré les péripéties, a résisté. C’est qu’elle était vécue par le peuple, dans les familles, sur les chantiers et dans les champs, dans les varangues et les cours, et parce que les acteurs culturels qui l’exprimaient comme ils le pouvaient, même aux heures les plus sombres, ont tenu le coup. Ils ont écrit, ils ont chanté, ils ont sculpté, ils ont peint La Réunion. Les manifestations des origines – caf, chinois, malbar, zarab, zorey – se sont exprimées à travers « les communautés », à la manière réunionnaise. Les conférences des Sciences et Arts et des diverses académies nous ont offert, à l’époque, un regard bien réunionnais sur ce qui était français et sur le France. Et si l’on regarde bien, ce que l’on appelle les « communautés » – avec une sorte de crainte du « communalisme » – on s’aperçoit que les fidèles des églises, des mosquées, des pagodes et des temples, sont métis, sont Réunionnais. C’est cette culture réunionnaise métisse d’Afrique, d’Asie et d’Europe qui est française ici.
Il est vrai que cette culture est jeune ; trois cents ans d’âge, c’est peu. C’est pour cela qu’elle est encore marquée par ses origines diverses. Dans le temps et dans l’espace, le créole des Pères Levavasseur et Monnet du temps des esclaves, le créole de Fourcade, celui de Gilbert Aubry, de Jean Albany, de Pierre Vidot, celui des Pat’jaunes, de Firmin Viry, de Danyel Waro présentent des différences sensibles. Certains voudraient qu’une autorité unifie la graphie qui pose encore problème. Ce n’est pas comme cela que ces choses-là se font. C’est le temps et l’usage, avec les études de spécialistes, qui font le travail.
Le verrou culturel jacobin, nous fait laisser seul Leconte de Lisle dans le cimetière de Saint-Paul, laisser tomber en ruine la tombe de Lacaussade à Salazie et laisser enfermée, la collection des peintures de Vollard, des trésors culturels de réputation mondiale qui pourraient donner à notre île un éclat international. Le même verrou confine notre littérature tellement riche et tellement diverse, dans des cercles d’initiés. Le même verrou est un lariaz de notre économie locale. Culturellement, notre peuple, en dehors de toute considération partisane ou électorale, collectivement, massivement, publiquement, doit proclamer la culture réunionnaise.
L’heure est venue d’harmoniser notre réalité politique et notre réalité culturelle, pour permettre à la culture réunionnaise d’assumer la responsabilité du développement de notre île et de son peuple. Nous verrons cela comment, dans notre « réflexion politique ». Mais je dois rendre hommage à ceux qui, dès maintenant, avec les moyens du bord, font un travail concret à la manière réunionnaise, sur le terrain. Ils existent.
Paul Hoarau
Actualité – Maurice Cérisola nous a quittés en plein confinement. A la fin de sa vie, il a souffert de deux choses : un, de l’espèce de détachement (ou de reprise en main) du pouvoir parisien des réalités – de l’économie en particulier – de la Réunion ; deux, des hostilités des uns envers les autres : créoles contre zorey, comores, martiniquais, etc, alors qu’il y a tant à faire dans l’urgence. Je lui ai dit que je n’étais pas dans ce climat de guerre et d’exclusion, mais dans la recherche de la plus large union de tous pour répondre à l’urgence. Mais je lui ai dit, aussi, que le meilleur moyen de mettre fin aux deux mots qu’il déplorait, était de reconnaître à chacun ce qui lui revenait. Maurice Cérisola a subi la double peine, celle du créole qu’il était devenu, que le pouvoir central semble dédaigner, et celle du zorey d’origine, dans le climat d’hostilité. Quoiqu’il ait pu faire et que l’on ait pu dire, il restera que Maurice Cérisola était devenu un créole passionné et fécond. Je présente à sa famille et à ses proches, mes sincères condoléances.
[1] Comme nous l’abordons dans « ce journal », ce problème n’ pas seulement, réunionnais, il est mondial. C’est le combat qui se mène, à l’échelle de la planète, entre la mondialisation qui veut tout concentrer et uniformiser pour rendre plus fort un petit nombre de puissants, et la mondialisation qui veut assurer à la diversité du plus grand nombre, le droit d’être, d’exister et d’agir.
Paul HOARAU
Culture Klic Réunion

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